Cet extrait est la version finale du premier chapitre de Secrets fondants et mojitos.
Sortie prévue début septembre 2019
Ravie du dimanche qui se profile à
l’horizon, je mets une robe gris clair en laine pour pallier le froid humide
qui règne en ce moment. Qu’il me tarde de revoir le soleil et de pouvoir sortir
des tenues un peu plus légères, des sandales…
Dans la salle de bains, j’observe
un instant mon reflet. Mes cheveux d’un blond passe-partout sont parfaitement
lissés et laissent à penser que je suis une jeune femme dynamique, prête à tout
pour avancer dans la vie et la mordre à pleines dents.
Et pourtant, c’est tout l’inverse !
Comme mon quotidien serait plus plaisant si je parvenais à m’extraire du carcan
dans lequel je m’obstine à vivre!
Au premier regard, les gens me pensent gentille et timide. Ils n’ont pas tort,
dans une certaine mesure.
Ma mère m’a élevée dans le respect
des autres. Il n’est pas nécessaire de crier, tant que l’on a de bonnes raisons
ou de bons arguments. En apparence, je suis posée et maîtresse de mes nerfs. Je
rends service et n’hésite pas à demander à ce qu’on me rende la pareille.
Là où les autres se trompent,
c’est sur ma prétendue timidité. Je le suis certes un peu. Seulement elle ne
trouve pas racine dans un mal-être ou un sentiment d’être incompétente. Non, la
véritable cause de mon caractère effacé aux premiers abords est la peur.
Ma vie est dominée par la peur.
C’est tout de même dommage, à bientôt vingt-huit ans, de se laisser ainsi
dicter sa conduite.
D’un geste fluide, je prends ma
trousse de maquillage et en sors
de l’ombre à paupières d’un gris irisé que j’étale délicatement. Mon regard
d’un marron profond s’en trouve mis en valeur. Après avoir terminé, j’attrape
mon mascara et l’applique consciencieusement sur mes cils. La bouche
entrouverte, je me concentre sur l’œil droit, puis sur le gauche. Une fois
satisfaite du résultat, je range tout dans le meuble et souris à mon reflet.
Comme dirait Fanny, ma meilleure amie, je suis radieuse.
Amusée de me voir ainsi pomponnée
pour un simple déjeuner dominical avec ma mère, je tire la langue et explose de
rire. Une vraie gamine !
Et dire que je suis comptable dans
une agence de publicité en pleine expansion ! Cinq jours par semaine,
c’est tailleurs stricts pour accueillir les clients et lunettes pour éviter les
migraines à cause de l’ordinateur. On est bien loin de la femme aux joues
rouges qui sourit devant son miroir !
Heureuse d’être d’aussi bonne
humeur, je regarde autour de moi. Mes yeux tombent sur la corbeille de linge
sale. Aussitôt, je l’empoigne, décidée à mettre une machine en route en mon
absence pour m’épargner le bruit.
Accroupie, je trie mes affaires
selon les couleurs et les températures de lavage tout en réfléchissant à mon
état semi-euphorique. La cause est évidente, et franchement gênante : un
rêve érotique.
Même si Fanny est assez libérée
sur ce point et ne cesse de me vanter les louanges des sextoys qu’elle vend
dans l’Antichambre, je ne suis toujours pas à l’aise. La sexualité est une
partie importante de la vie d’une femme, ce n’est pas ce que m’a appris ma mère,
mais ce que les magazines, les publicités et même certains films tendent à nous
faire croire.
Et dans ce domaine, je suis loin
d’être au point !
C’est étrange de penser ça,
seulement j’ai toujours eu l’impression que je n’étais pas à fond dans mes relations.
Quelque chose me retient, m’empêchant de me livrer totalement. Par conséquent, je
suis toujours célibataire et je ne fais rien pour que cela change.
De tous mes petits amis, aucun ne me manque.
Parfois j’entends mes collègues ou mes amies de promotion raconter qu’elles ont
eu envie d’appeler un ex, pour discuter tout simplement ou pour coucher avec.
Et moi, rien.
Ils étaient géniaux, tous à leur façon, mais je
n’ai jamais vécu la même connexion qu’entre Fanny et Édouard. Ils se complètent
à la perfection. Dans le quotidien, comme dans la chambre vu les sous-entendus
ravis de ma meilleure amie. Et je l’envie. Quand ils ont officialisé leur
couple, la question pernicieuse « Et moi, alors ? » m’a hantée
quelques jours. Puis, j’ai réfléchi, analysé la situation et réalisé que je
n’étais pas prête.
Ou pas faite pour cela.
Peut-être suis-je trop exigeante, ou trop
peureuse, mais j’ai besoin de bien connaître un homme avant d’envisager davantage.
Alors coucher avec…
Au lit, j’ai toujours pris du plaisir. Bon,
d’accord, certaines fois, j’étais plus spectatrice qu’actrice, mais tout le
monde ne peut pas avoir une libido du feu de dieu. Et beaucoup d’hommes
cherchent vite à passer à l’étape
supérieure, me faisant fuir par la même occasion. J’ai rapidement
compris que je faisais partie des femmes peu portées sur le sexe. Et je peux
vivre avec.
Je crois.
Parfois, la curiosité me tiraille, j’aimerais
savoir ce que l’on ressent quand son corps réagit au moindre contact. Comment
agirais-je si je n’avais qu’une seule idée en tête : l’homme avec moi et
tout ce que nous pouvons faire ? Dans ces moments-là, un vague à l’âme
m’envahit et un profond abattement me saisit devant la difficulté que rencontrer
un homme bien représente pour moi.
Puis, je le
vois. Et je me dis que s’il y a bien un homme qui aurait pu changer tout cela,
c’est lui. Et dans mes songes, il y
arrivait !
J’éclate de rire en remerciant mon esprit de ne
pas avoir rêvé de lui un jour de
semaine, juste avant de le rencontrer en vrai. Comment ferais-je demain pour le
croiser, pour lui parler sans que des réminiscences de ses gémissements, de ses
encouragements assez crus me reviennent en mémoire ?
— Demain est un autre jour ! déclaré-je en
appuyant sur le bouton de la machine.
Un léger sourire aux lèvres, je me relève et
avise l’heure. Si je continue à traîner de la sorte, je vais finir par arriver
en retard chez ma mère.
Après un dernier coup d’œil à mon appartement, je
mets mon manteau et saisis mon sac. Il sera toujours temps de repenser à mon
rêve ce soir. La main sur la poignée de ma porte d’entrée, je m’arrête et
m’admoneste. Non, pas ce soir ! Je ne peux courir le risque de me réveiller
de nouveau demain matin, le corps alangui d’un rêve graphique et dangereusement
séduisant.
Il faut que j’oublie ce moment d’égarement, au
moins jusqu’à vendredi. Là, et seulement là, je pourrai revivre dans mon esprit
ce rêve charnel dont les moindres détails sont gravés dans ma mémoire.
Oui, je vais rester cinq jours à repousser
l’attrait de ces images. Peu certaine de tenir ma résolution, je quitte enfin
mon appartement. Dehors la pluie me cueille et me glace rapidement. Les
bienfaits de mon réveil s’effacent sans que ma bonne humeur soit entachée.
Cette quiétude me plaît, d’autant qu’elle ne m’est plus familière depuis…
D’un geste nerveux, je repousse mes cheveux
derrière mes oreilles et boucle ma ceinture en tentant vainement de retenir mes
pensées. Il est hors de question que je songe à…
Trop tard. Le mot est là, danse dans ma tête.
Cancer.
Il y a deux ans, ma mère en a eu un. Diagnostiqué
suffisamment tôt, il a été vaincu. La rémission est totale, mais la petite
fille en moi craint toujours de perdre sa maman. Mes parents ont divorcé
il y a quelques années. Peu proche de mon père et encore moins de sa nouvelle
compagne, j’ai eu peur de me retrouver seule.
Je démarre ma voiture et me sermonne. Je ne serai
jamais seule. Cette phrase est peut-être présomptueuse, mais je sais au plus
profond de moi que jamais Fanny ne me laissera tomber. Et dorénavant, je peux
aussi compter sur Édouard. Il est rapidement devenu un ami sur lequel il m’est
facile de me reposer. Certes, ma réserve m’empêchera de me confier librement à
lui, mais je sais qu’il me tendra la main au moindre souci.
Sur mon pare-brise, la pluie ne cesse de
tambouriner, amplifiant mon malaise.
Pourquoi je pense au cancer maintenant ?
Ma journée avait si bien commencé, pourquoi
dois-je la gâcher ?
Un soupir m’échappe tandis que la raison me
vient. Depuis presque une semaine, je n’ai pas eu d’appels de ma mère. Une
éternité pour nous. Quand elle m’a envoyé un texto pour m’inviter ce midi, j’ai
tout de suite accepté, espérant qu’elle aurait une bonne nouvelle à m’annoncer.
Depuis des années, et bien que ma vie
sentimentale soit à deux doigts d’être qualifiée de fiasco, je souhaite à ma
mère de rencontrer un homme doux pour lui tenir compagnie. Je l’ai même
encouragée à s’inscrire dans des clubs, à faire des sorties avec d’autres
personnes sans que cela ne lui permette de refaire sa vie jusqu’ici. Tout comme
pour moi qui fais de même de mon côté, de mauvaise grâce.
Refusant de penser à tous ces rendez-vous
manqués, pour ne pas dire ratés, je me concentre sur mon créneau, puis attrape
le parapluie que je laisse toujours dans ma voiture. Une fois devant la maison,
je sonne, le sourire de nouveau accroché à mes lèvres.
En voyant ma tante m’ouvrir la porte, je sens mon
corps se raidir. Un mauvais pressentiment m’étreint, et je n’arrive pas à
l’endiguer.
— Bonjour, Marie !
— Tatie, la salué-je en retour.
Bien que plus jeune que ma mère, elle lui
ressemble trait pour trait et a même adopté certaines de ces attitudes sans s’en
rendre compte. Il peut être fascinant de les voir évoluer ensemble tant leur
entente est parfaite. Après lui avoir fait la bise, j’entre et laisse mon
parapluie et mon manteau près de la porte.
— Ma chérie ! s’exclame ma mère.
Les bras ouverts, elle attend que je m’approche
pour un câlin de bienvenue. Au chaud contre elle, je sens toute la force de son
amour et autre chose. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus, et cela
m’oppresse.
— Comment vas-tu ? demandé-je en m’écartant
un peu.
— Ça va.
Son sourire me semble forcé, mais je ne dis rien.
Je serre les dents tandis que je continue mon examen. Ses vêtements sont
repassés avec soin et ses cheveux retenus par une barrette discrète. Mon ventre
se noue quand je la vois éviter mon regard.
— Allons prendre l’apéritif dans le salon ! propose-t-elle.
J’acquiesce, mais ne la lâche pas.
— Viens, ma chérie…
Son ton bienveillant m’effraie. C’est dingue,
mais je sens au plus profond de moi que je ne vais pas aimer la suite.
En mode automatique, je m’assois dans le canapé,
ignorant la décoration qui m’entoure et qui m’apaise d’ordinaire. Pourquoi ma
tante est là ? Pourquoi le sourire de ma mère paraît crispé ? La
réponse est toute proche, seulement je refuse de la formuler. Trop de fois, je
l’ai crainte, cette rechute, pour qu’au final ce soit toute autre chose.
— Maman ?
Ses mains tremblent. Tatie lui prend les verres
qu’elle tenait et se montre plus directive que moi :
— Parle !
Le mot a claqué et marque le début de ses
révélations.
— J’étais malade en début de semaine.
Ma tête dodeline. J’ai peur.
— Je suis allée voir le médecin.
Un frisson me parcourt, mais je demeure stoïque,
les mains jointes sur mes cuisses.
— Ce n’était pas grand-chose…
Je sens venir le « mais ».
— J’en ai profité pour lui parler d’une douleur.
« Une douleur ». La première fois, ça
avait commencé ainsi. Une douleur, proche de la gêne. Rien de bien méchant.
Non, rien, juste un cancer de l’utérus ! Je déteste quand je deviens
sarcastique, pour le mal-être que ça laisse transparaître. Certaines personnes le
sont naturellement. Pas moi. Cette attitude ne me vient qu’en cas de stress
intense : des examens, une rupture… le cancer de ma mère.
— Et ?
Impossible de savoir qui de ma tante ou de moi a
posé la question, mais elle relance les explications :
— Il a trouvé des ganglions près d’un de mes
seins.
Ma mère me regarde avec cet air désolé qui me
vrille l’estomac. Elle a un nodule et la seule chose à laquelle elle songe,
c’est à moi.
— Et ? demandé-je en tentant de retenir ma
nervosité.
— Il a réussi à convaincre un de ses confrères de
me prendre entre deux rendez-vous.
— Et ? répété-je un peu plus sèchement.
— Je ne l’ai vu que vendredi et… Il a programmé
une mammographie et une biopsie la semaine prochaine.
Ma gorge se serre. J’ai l’impression que mon
monde est sur le point de basculer à cause d’un « simple » mot :
biopsie. Le mot est lâché comme une bombe qui ne sait pas encore si elle va
exploser en faisant un maximum de dégâts, ou faire le bruit d’un pétard mouillé.
Il est celui par qui tout va commencer. Ou se terminer. La seule chose
certaine, c’est que le froid qui vient de m’envahir ne me quittera pas de sitôt
malheureusement, pas tant que toute menace ne sera pas écartée. D’ici là, je devrai
être forte pour soutenir ma mère, même si cela s’avère la chose la plus
difficile actuellement tant j’ai envie de me rouler en boule dans un coin et de
pleurer.
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